Le boucher turc qui a transformé un geste en empire mondial voit son modèle économique s’effondrer sous le poids des polémiques et de la surexposition.
Nusret Gökçe ? Ce nom ne vous évoque peut-être pas grand-chose. En revanche, celui de Salt Bae vous dit sans doute quelque chose. Et pour cause : ce Turc haut en couleur est devenu, grâce à un geste apparemment anodin, l’une des personnalités les plus connues de la planète.
En janvier 2017, ce boucher, chef et restaurateur, apparaît dans une courte vidéo où il sale une pièce de viande en laissant le sel glisser le long de son avant-bras. Sans en mesurer l’impact, ce geste spectaculaire fait de lui une icône mondiale, bientôt surnommée Salt Bae, autrement dit, « le chéri du sel » en turc.
Celui qui possédait déjà depuis 2012 sa propre chaîne de restaurants, Nusr-Et, fondée avec l’appui de deux investisseurs turcs, devient viral du jour au lendemain. Très vite, les célébrités affluent dans ses établissements. Tous veulent reproduire le geste devenu légendaire ou se faire servir par Salt Bae, qui adore en rajouter devant ses convives les plus prestigieux.
Un empire de viande, de bling et de stars
Les footballeurs les plus célèbres au monde défilent, de Franck Ribéry à Kylian Mbappé, en passant par Lionel Messi, Paul Pogba, Cristiano Ronaldo, Neymar, ou encore Diego Maradona. Sur ses réseaux sociaux, Salt Bae accumule les abonnés, dépassant les 52 millions sur Instagram.
En plus du sel, la chaîne Nusr-Et s’offre un nouvel élément reconnaissable : la feuille d’or. Du milkshake doré à 99 dollars au cappuccino doré à 67 dollars, en passant par le burger doré à 100 dollars, tout y passe. Et pour les plus gourmands et les plus fortunés, des pièces de viande dorées qui peuvent coûter plus de 1500 dollars la pièce.
En quelques années, les restaurants se multiplient : Istanbul, Mykonos, Londres, Miami, New York, Las Vegas, Beverly Hills. Au total, plus d’une vingtaine de steakhouses Nusr-Et ouvrent leurs portes, auxquelles s’ajoutent une dizaine de restaurants plus petits, les Salt Bae Burger.
Mais cette croissance fulgurante cache une fragilité. « C’est un concept qui repose entièrement sur une personne et sur l’expérience instagrammable qu’elle incarne », observe un expert cité dans une enquête récente du Parisien.
Fermetures en série et critiques au vitriol
Au-delà de ce problème d’image, Salt Bae accumule les polémiques. Son aura de chef extravagant et décalé se ternit peu à peu. En septembre 2018, il reçoit à Istanbul Nicolás Maduro, président du Venezuela, pour une démonstration culinaire théâtrale.
Un geste jugé indécent alors que son pays traverse une grave crise économique qui prive des millions de Vénézuéliens de nourriture. Résultat : une vague de critiques et des protestations devant le restaurant Nusr-Et de Miami.
Quelques semaines plus tard, dans ce même restaurant d’Istanbul, une démonstration vire au cauchemar. Un incendie blesse plusieurs personnes, dont une cliente sévèrement brûlée. À Mykonos, Londres ou New York, d’anciens membres du personnel dénoncent un environnement de travail agressif et « hyper masculiniste », où les discriminations raciales et sexuelles seraient fréquentes.
En 2019 à New York, quatre employés accusent Salt Bae de détournement illégal de leurs pourboires. L’affaire est finalement réglée à l’amiable : chaque employé reçoit 230 000 dollars contre l’abandon de sa plainte.
Parallèlement, les fermetures s’enchaînent. Alors que Nusr‑Et comptait encore sept adresses aux États-Unis en 2023, il n’en reste plus que deux aujourd’hui, les restaurants de Dallas et Beverly Hills ayant baissé leurs rideaux en juin dernier.


