Opiniatre 18 août 2020
Le chef de l'Etat ivoirien Alassane Ouattara, lors d'une réunion de son parti, le RHDP, le 30 juillet 2020.

 

En Afrique, les modifications constitutionnelles se multiplient, favorisant le maintien au pouvoir de certains dirigeants. C’est le cas en Côte d’Ivoire, où le président Alassane Ouattara vient d’annoncer sa candidature pour un troisième mandat. Son homologue guinéen Alpha Condé pourrait bientôt lui emboîter le pas. Pourquoi les présidents africains s’accrochent-ils autant au pouvoir ?

En Afrique, il fut un temps où les putschs étaient la mode. Selon deux politologues américains, Jonathan Powell et Clayton Tyne de l’université Kentucky (Etats-Unis), il y a eu depuis 1960 à ce jour en Afrique, plus de 400 coups d’Etat (réussis ou non). Depuis le début des années 2000, une autre tendance émerge, celle du troisième mandat (voire plus si affinités). En avant-garde de cette mode, les présidents équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema, camerounais Paul Biya et congolais Sassou Nguesso, qui ont en moyenne trente ans de règne.

Alassane Ouattara ne fera pas exception

Ces présidents ont pu se maintenir au pouvoir en modifiant sans cesse la constitution. Leur « réussite » a inspiré de nombreux autres dirigeants, parmi lesquels le Burundais Nkurunziza, l’Ougandais Museveni, le Rwandais Kagamé et l’Egyptien Fattah al-Sissi. Maintenant d’autres veulent faire de même. L’on pense par exemple au président ivoirien Alassane Ouattara, qui vient d’annoncer sa candidature pour un troisième mandat. Il avait fait modifier en 2016 la constitution, sans l’opposition. La décision du chef de l’Etat ivoirien est d’autant plus affligeante, qu’il avait annoncé en mars dernier la passation du pouvoir à une nouvelle génération. Les arguments qu’il a présentés pour ce troisième mandat relèvent du farfelu.

Son voisin Alpha Condé a les mêmes intentions. Lui aussi a fait modifier la constitution en mars 2020, au grand désarroi de l’opposition. Cet opposant insubmersible contre les régimes rétrogrades de son pays avait pourtant fait miroiter une nouvelle ère démocratique lors de son accession au pouvoir en décembre 2010. Les présidents malien Ibrahim Boubacar Keita et sénégalais Macky seraient également tentés par cette aventure ambigü.

Les raisons de cette tendance africaine

Cette manie des chefs d’Etat africains, surtout francophones, de s’accrocher au pouvoir peut trouver plusieurs explications. D’abord, ils craignent des poursuites judiciaires après leur règne. Le sort des Dos Santos en Angola leur parle. Ces dirigeants africains sont nombreux à s’être rendus coupables de corruption et de détournements. Certains ont même des biens mal acquis à l’étranger. Il y en a qui doivent répondre de meurtres et de crimes. Ils se croient donc obligés de rester au pouvoir le plus longtemps possible pour ne pas rendre compte de leurs actes.

Deuxième raison : l’accès au pouvoir en Afrique rime toujours avec accès aux ressources du pays pour le chef d’Etat, ses proches, voire sa région. D’où les gestions claniques qu’on observe sur ce continent. « Manger » et « Faire manger » ses proches devient même un impératif dans certains Etats. La soumission de l’Afrique à « l’esprit de chefferie », selon l’expression du penseur camerounais Achille Mbembe, constitue la troisième explication. Les nations africaines sont jeunes et elles expérimentent la démocratie. Dans ce contexte, la conscience collective s’accommode encore du règne des « souverains », « chefs » et « guides ». Le tribalisme et l’analphabétisme font le reste.

Nécessité d’avoir une société civile active et des institutions fortes

Que faut-il faire alors pour mettre un terme à cette mode et lancer véritablement l’alternance politique en Afrique ? « Pour mettre fin à ce syndrome, il faut que la société civile prenne ses responsabilités comme cela s’est fait au Burkina Faso et au Sénégal. Il faut qu’elle pèse dans le débat », propose Sylvain N’guessan, analyste politique et directeur de l’institut de stratégie d’Abidjan. « Il faut espérer aussi que nous ayons des leaders matures politiquement », ajoute-t-il. Sylvain N’guessan appelle en outre à la mise en place d’institutions fortes pour contrer les hommes forts. Un vœu pieux émis par Barack Obama lors d’une visite au Ghana en 2009.

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